Guschtasp

Cinquième Station - Isfendiar tue un Simourgh

Le prince, qui ambitionnait la possession du monde, se présenta devant le Créateur, et resta longtemps le front prosterné contre terre; ensuite il fit dresser ses tentes dans la forêt, et l’on couvrit une table de tout ce qui était nécessaire.

Il ordonna à l’exécuteur des hautes œuvres de lui amener le malheureux Kergsar; on l’amena, et lorsque Isfendiar le vit, il lui donna trois coupes de vin royal.

Kergsar fut réjoui du vin couleur de rubis.

Le prince lui dit:

Ô Turc infortuné, regarde la tête de la magicienne sur ce gibet.

Tu m’avais dit qu’elle jetterait mon armée dans la mer, et qu’elle élèverait sa propre tête jusqu’aux Pléiades.

Maintenant dis-moi ce que je verrai à la prochaine station, puisque nous avons vu ce que valait la magicienne.

Kergsar lui répondit:

Ô toi qui es un éléphant de guerre au jour du combat! à cette station tu trouveras quelque chose de plus difficile;

réfléchis-y bien, et sois sur tes gardes plus que jamais.

Tu verras une montagne dont la cime est dans les nuages; c’est là que demeure un oiseau puissant;

les voyageurs l’appellent simourgh, c’est comme une montagne ailée et avide de combat.

S’il voit un éléphant, il l’emporte dans ses serres; il enlève de la mer un crocodile, et de la terre un léopard, et n’a aucune peine à les porter.

Ne le compare pas aux loups ou à la magicienne.

Il a deux petits qui sont grands comme lui, et ils agissent toujours de concert.

Quand il s’élance dans les airs et étend ses ailes, la terre perd ses forces et le soleil sa majesté.

Si tu t’en retournais maintenant, tu y gagnerais; car tu ne peux lutter contre le simourgh et la haute montagne.

Le héros au cœur puissant sourit et dit:

Ô prodige! je lui clouerai les deux épaules avec les pointes de mes flèches, je lui fendrai la poitrine avec mon épée indienne, je ferai rouler dans la poussière sa tête si haute.

Lorsque le soleil brillant baissa et que son dos pesa sur le couchant, le chef des braves mit en marche l’armée, en réfléchissant sur ce qu’il avait entendu dire du simourgh.

Il accompagna l’armée pendant toute la nuit; mais lorsque le soleil s’éleva au-dessus des montagnes, que le flambeau du monde rajeunit la terre et changea l’aspect des vallées et des plaines, il remit le commandement de l’armée à Beschouten et partit avec ses chevaux, sa caisse et son chariot.

Le puissant prince partit rapide comme le vent, et vit une montagne dont la cime s’élevait jusqu’au ciel;

il plaça ses chevaux et son chariot dans l’ombre de la montagne; son esprit s’abandonna à ses pensées, et il pria Dieu, l’unique, par l’ordre duquel le monde est né.

Quand le simourgh aperçut d’en haut la caisse et qu’il entendit au loin le bruit de l’armée et le son des clairons, il s’élança de son rocher comme un nuage noir, et le soleil et la lune disparurent.

Il voulut saisir avec ses serres le chariot, comme un léopard saisit sa proie; mais il enfonça les épées dans ses deux ailes et ses deux ailerons, et sa force et sa majesté y périrent.

Pendant quelque temps il frappa avec le bec et les griffes; mais à la fin il fut épuisé et se tint tranquille.

Quand ses deux petits virent le simourgh pousser des cris et verser des larmes de sang, ils s’envolèrent de ce lieu, de manière que leur ombre aveuglait les yeux.

Lorsque le simourgh fut affaibli par ses blessures, et qu’il eut inondé de son sang les chevaux, la caisse et le chariot, Isfendiar sortit de la caisse, poussant des cris de tonnerre, armé pour la bataille, couvert d’une cotte de mailles et tenant une épée indienne.

Comment un oiseau pourrait-il résister au crocodile?

Il frappa le simourgh de son épée, jusqu’à ce qu’il l’eût coupé en morceaux; et c’est ainsi que périt le puissant oiseau.

Isfendiar s’adressa au Maître de la lune, qui lui avait donné la force de vaincre tous les dangers, et dit:

Ô Juge suprême qui distribue la justice, maître de la pureté, de la force et de toute vertu! c’est toi qui a renversé les magiciens, c’est toi qui as été mon guide vers cette nouvelle victoire.

Dans ce moment les trompettes résonnaient, et Beschouten arrivait avec les tentes, avec les armes, avec ses frères, avec l’armée, avec ses fils et avec les grands de l’Iran, qui portaient des couronnes et des ceintures.

La plaine avait disparu sous le simourgh mort; on ne voyait que son corps et ses serres sanglantes; la terre n’était que du sang d’une montagne à l’autre, et les ailes de l’oiseau étaient si grandes qu’on aurait dit qu’il n’y avait pas de plaine.

Les Iraniens virent le roi tout couvert de sang; il aurait effrayé la lune; et leurs chefs, les vaillants cavaliers, et les héros lui rendirent hommage.

Kergsar apprit sur-le-champ que le roi illustre avait remporté la victoire; son corps se mit à trembler, son visage devint sombre, il éclata en larmes, et son cœur fut rempli de douleur.

Le jeune roi fit dresser ses tentes, et les braves et les héros campèrent autour de lui.

On étendit sur le sol des tapis de brocart, et ils se mirent, à table et burent du vin.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021