Guschtasp

Beschouten amène le cercueil d'Isfendiar à Guschtasp

...

Rustem fit faire un beau cercueil en fer et étendit dessus un poêle en brocart de Chine;

Il en couvrit l’intérieur avec du bitume sur lequel il répandit du musc et de l’ambre gris; il lui fit un linceul de drap d’or, et toute l’assemblée éclata en lamentations.

Ayant enveloppé dans ce linceul la brillante poitrine du roi, il lui plaça sur la tête son diadème de turquoise;

On riva fortement le couvercle sur le cercueil étroit, et cet arbre royal qui avait porté de si beaux fruits disparut.

Rustem amena quarante mules choisies, couvertes de housses flottantes en brocart de Chine, et dont deux toujours portaient le cercueil du roi, l’une à gauche et l’autre a droite; devant et derrière marchait le cortège; tous avaient les joncs déchirées, les cheveux arrachés;

Toutes les langues parlaient du roi, toutes les âmes le regrettaient;

Les timbales étaient renversées, les drapeaux mis en lambeaux, tous les vêtements étaient violets et bleus.

Beschouten marchait devant les troupes; la crinière et la queue du cheval noir du roi étaient coupées;

Il portait une selle renversée d’où pendaient la massue de combat d’Isfendiar, le casque célèbre, la cotte de mailles, la tunique et le bonnet du héros.

Le cortège partit, et Bahman resta dans le Zaboulistan, des larmes de sang découlant de ses cils.

Tehemten l’emmena dans son palais et en eut soin comme de son âme.

Guschtasp reçût la nouvelle de ce qui s’était passé; la tête du roi illustre se courba, tous ses vêtements furent en lambeaux, son front et son diadème s’abaissèrent dans la poussière.

Des cris lamentables sortirent du palais, le monde se remplit du nom d’Isfendiar; partout dans l’Iran ou la nouvelle parvenait, les grands jetaient loin d’eux leurs diadèmes.

Guschtasp dit:

Ô mon fils à la foi sainte! l’époque et le monde ne verront pas ton égal;

Depuis le temps de Minoutchehr, il n’y a pas eu un homme qui ait porté si haut la tête;

Tu as couvert ton épée de sang et purifié la foi;

Tu as tenu les rois à leur place.

Les grands de l’Iran, indignés contre Guschtasp, se dépouillèrent de tout respect pour lui, s’écriant à haute voix:

Ô homme au destin maudit! tu as envoyé dans le Zaboulistan, pour conserver ton trône, un prince comme Isfendiar;

Tu l’as livré à la mort et as gardé la couronne sur ta tête, assis sur le trône du pouvoir.

Puisse ta tête avoir honte de se couvrir de la couronne des Keïanides;

Puisse ton étoile avoir hâte de partir!

Ils quittèrent tous la salle d’audience, et le palais et la salle furent couverts de poussière.

Quand la mère et les filles d’Isfendiar reçurent la nouvelle, elles sortirent du palais avec les sœurs du héros, la tête nue, les pieds souillés de poussière, les vêtements déchirés sur leur corps.

Beschouten s’avança sur la route, consumé de douleur, marchant devant le cercueil et le destrier noir;

Les femmes s’attachèrent à lui, le sang ruisselant de leurs cils, et s’écriant:

Ôte le couvercle de ce cercueil étroit, montre-nous au moins de loin le corps du mort.

Beschouten se désolait au milieu de ces femmes; il poussait des cris et s’arrachait la chair des bras; il dit aux forgerons:

Apportez une lime acérée, car je suis un homme perdu.

Il fit ouvrir le couvercle de ce cercueil étroit, et recommença ses lamentations.

Lorsque la mère et les sœurs virent le visage et la barbe noire du roi couverts de musc, ces femmes voilées s’évanouirent, ces femmes aux cheveux bouclés eurent le cœur gonflé de sang;

Quand elles reprirent connaissance, elles adressèrent des prières au bienheureux Serosch, quittèrent le cercueil du roi, s’approchèrent de son cheval noir en jetant des cris et lui caressèrent tendrement le cou et la tête.

Kitaboun versa sur le destrier des larmes de sang, car c’était monté sur lui que le roi avait péri, c’était en combattant sur lui qu’il avait été frappé.

La mère d’Isfendiar dit:

Ô toi dont la trace des pieds est maudite, c’est sur ton dos que le Keïanide a été tué!

Qui porteras-tu dorénavant dans la bataille, qui livreras-tu à la grille du crocodile?

Toutes les femmes se suspendirent à son cou, toutes versèrent de la poussière sur sa tête; les lamentations du cortège montèrent dans les nues, et Beschouten entra dans le palais du roi.

Lorsqu’il vit Guschtasp, il ne le salua pas; arrivé tout près de son trône, il dit à haute voix:

Ô chef des hommes qui portent haut la tête, les signes de ta chute approchent!

Voici le mal que tu as fait à ton propre fils;

Tu as détruit la fortune du pays d’Iran;

tu as oublié ton caractère sacré, et la raison t’a abandonné;

Les scorpions de Dieu te suivront.

Ton fils illustre, ton soutien a péri, et dorénavant tu ne tiendras dans ta main que du vent.

Tu as livré ton fils à la mort pour conserver ton trône: puisse ton œil ne plus voir jamais le trône et la fortune!

Le monde entier est plein de tes ennemis et de méchants, et la couronne des rois ne te restera pas; tu seras maudit sur cette terre, et au jour du jugement, tes actions seront examinées.

Il dit, et se tourna vers Djamasp, s’écriant:

Ô homme méchant, vil et égaré!

Tu ne connais que le mensonge, et, par les voies tortueuses, tu as terni toute splendeur;

Tu excites l’inimitié parmi les Keïanides, tu frappes l’un par l’autre.

Ta sagesse est d’enseigner le crime, de diminuer le bien, d’agrandir le mal.

Tu as semé une semence dont tu recueilleras dans ce monde les fruits apparents et cachés.

C’est par tes paroles qu’un prince puissant a péri, que le jour des puissants a passé.

Tu as enseigné au roi le chemin du mal, ô vieillard sans cervelle et sans raison! en lui disant que le sort d’Isfendiar était dans la main du glorieux Rustem.

Ensuite il ouvrit sa bouche éloquente et répéta les conseils et les dernières volontés d’Isfendiar; il raconta comment il avait légué à Rustem son fils Bahman, il dévoila tous les secrets de son frère.

Le roi entendit les dernières volontés de son fils, et se repentit de ce qu’il avait fait contre lui.

Quand les grands eurent quitté le palais, Beh-Aferid et Homaï entrèrent; dans la douleur que leur causait la mort de leur frère, elles s’arrachèrent les cheveux devant Guschtasp, elles se déchirèrent les joues et dirent à leur père:

Ô roi illustre! réfléchis sur le sort d’Isfendiar, qui le premier a vengé Zerir, qui a arraché l’onagre aux griffes du lion, qui nous a défendus contre les Turcs, qui a remis de l’ordre ce dans ton empire.

Sur les paroles d’un calomniateur, tu l’as fait attacher à des colonnes par un lourd carcan et des courroies;

Mais lorsqu’il fut enchainé, notre grand-père fut tué et notre armée périt;

Quand Ardjasp vint de Khallakh à Balkh, les malheurs rendirent notre vie amère;

Quand il nous eut emmenées du palais dans la rue, le visage découvert, nous qui avons toujours été voilées, quand il eut éteint Nousch-Ader, le feu de Zerdouscht, et qu’il se fut emparé de l’empire, alors tu as vu agir ton fils, tu as vu qu’il a réduit les Turcs en fumée, en vent et en poussière.

Il nous a ramenées du château d’airain auprès de toi, il a été le gardien du royaume et de ta couronne;

Mais tu l’as envoyé dans le Zaboulistan, tu lui as donné beaucoup de conseils et d’avis, pendant que ton intention était qu’il pérît par le leurre de ton trône, et que sa mort remplit le monde de douleur et de terreur.

Ce n’est ni le Simourgh qui l’a tué, ni Rustem, ni Zal, c’est toi qui l’as tué: ainsi ne le pleure pas, toi qui es son meurtrier.

Aie honte de ta barbe blanche, car tu as fait périr ton fils, dans l’espoir de conserver ton trône.

Il y a eu avant toi beaucoup de rois dignes du trône, mais ils n’ont pas livré à la mort leurs enfants, leur famille et leurs alliés.

Guschtasp dit à Beschouten:

Lève-toi et verse de l’eau sur ce feu enfantin.

Beschouten sortit de la salle d’audience du roi et emmena les femmes de ce lieu;

Il dit à sa mère:

Pourquoi frappes-tu avec tant de passion à la porte du mort?

Il est couché tranquillement et l’esprit en repos; car il était fatigué de ce pays et de son maître.

Pourquoi affliger ton cœur à cause de lui, dont la demeure est maintenant le paradis?

La mère accepta les conseils de son fils plein de piété, et se laissa persuader par lui de la justice de Dieu.

Pendant une année toutes les maisons de l’Iran retentirent de cris et de lamentations, et pendant de longue années on versa des larmes sur la flèche en bois de tamarix et les sortilèges de Destan fils de Zal.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021