Guschtasp

L'armée d'Ardjasp arrive à Balkh et tue Lohrasp

...

Je vais maintenant rajeunir le récit de la lutte contre Ardjasp, et, par mon talent, délivrer de mauvaises herbes le jardin.

Ardjasp ordonna que Kehrem, toujours prêt à frapper de l’épée, parût devant lui, le maître de cette assemblée des grands du Touran: c’était son fils aîné, qui levait sa tête jusqu’au soleil brillant.

Il lui dit :

Choisis dans l’armée des cavaliers, des héros dignes de combattre, et pars d’ici; marche en toute hâte jusqu’à Balkh, car c’est de là que nos jours ont été rendus amers.

Coupe la tête à tous nos ennemis, à tous les adorateurs du feu, à tous les Ahrimans que tu rencontreras, brûle leurs maisons, convertis pour eux en nuit le jour brillant.

Il faut que la fumée du palais de Guschtasp fasse voler les flammèches de l’incendie jusqu’à la voûte bleue du ciel.

Si tu trouves Isfendiar enchainé par les pieds, mets fin à sa vie, tranche-lui la tête et remplis le monde de ta gloire par ce haut fait.

Tout le pays d’Iran t’est livré, tu es l’épée, et l’ennemi est ton fourreau.

Sous peu je quitterai à mon tour Khallakh et marcherai par étapes et rapidement; je rassemblerai mon armée dispersée, et je dépenserai mes trésors amassés.

Kehrem lui répondit:

Je vais obéir; que ma vie réponde de l’accomplissement de tes ordres!

Lorsque le soleil eut tiré son épée rayonnante et que la nuit sombre eut retiré devant lui le pan de sa robe, Kehrem entra avec ses troupes dans l’Iran, et la terre devint noire comme le visage d’un nègre.

Aussitôt qu’il eut envahi ce pays, Kehrem lâcha la main aux méchants et aux adorateurs des idoles; ils dépouillèrent leurs cœurs de toute vertu, ils ne s’appliquèrent qu’à dévaster et à tuer.

Quand les Turcs furent arrivés près de Balkh, la bouche remplie de paroles amères, et quand Lohrasp eut nouvelle de Kehrem, il en fut affligé et le chagrin devint son compagnon.

Il dit à Dieu:

Ô Créateur, tu es au-dessus de la rotation du sort, tu es tout-puissant, éternel, tu sais tout, tu es le maître du soleil brillant, le protecteur de ma foi, de mon corps et de mon esprit, de mon âme, de mes forces et de ma vigueur.

Ne me laisse pas devenir prisonnier dans les mains de ces hommes, car tu es le soutien de ceux qui t’implorent!

Il ne se trouvait alors à Balkh aucun des grands, aucun des cavaliers armés de massues, mais il se présenta mille artisans du bazar, des hommes peu propres au combat.

Quand l’armée des Turcs fut proche, Lohrasp revêtit son armure de guerre, et se rendit du temple sur le champ de bataille, la tête couverte d’un casque de Keïanide. Malgré son âge, il poussa des cris comme un éléphant ivre, tenant dans sa main une massue à tête de bœuf, et à chaque attaque il abattit avec sa lourde massue quelques-uns des chefs des Turcs.

Chacun dit que ce guerrier illustre donnait des coups comme Isfendiar seul en donnait.

Il pétrissait de sang la poussière, de quelque coté qu’il lançât son destrier;

Quiconque entendait la voix de Lohrasp sentait son courage faiblir.

Kehrem dit aux Turcs:

Ne l’attaquez pas isolément, faites un effort commun, enveloppez-le, poussez des cris comme des lions furieux!

Alors s’éleva le bruit des haches d’armes qui brisaient les cuirasses et le tumulte des cavaliers avides de combats.

Lohrasp, resté seul au milieu des ennemis, invoqua dans sa détresse le nom de Dieu; il se sentit accablé par le poids des années et l’ardeur du soleil, et sa fortune baissait.

Une flèche turque frappa le vieillard, et ce vaillant adorateur de Dieu fut renversé; sa tête couronnée, tomba dans la poussière, et une foule de cavaliers se rassembla autour de lui.

Ils brisèrent son armure de Keïanide, ils taillèrent en pièces son corps avec leurs épées; tous avaient pensé que c’était un jeune guerrier; mais lorsqu’ils eurent ôté le casque de la tête du roi, ils virent ses cheveux blancs comme le camphre et son visage céleste noirci par le fer de son casque.

Tous restèrent devant lui, confondus, disant :

Comme ce vieillard a manié son épée!

Si Isfendiar avait été ici, notre armée aurait péri dans cette plaine.

Pourquoi sommes-nous venus en si petit nombre, car nous sommes venus comme un troupeau qui va au pâturage?

Kehrem répondit à ses compagnons:

C’était là ce que nous avions à faire, et le but de nos fatigues était ce combat, car ce prince était le roi Lohrasp, le père de Guschtasp, le maître de la terre;

Il a été le maître, du monde, entouré de la majesté que Dieu accorde; >

Toute sa vie s’était passée dans les festins et sur les champs de bataille, mais dans sa vieillesse il s’était consacré à Dieu, et son cœur avait renoncé à la couronne et au trône. Maintenant que Guschtasp a perdu ce soutien, il tremblera pour son diadème impérial.

Les Turcs entrèrent dans Balkh, et le monde fut désolé par les dévastations et les meurtres qu’ils commirent; ils se dirigèrent vers le temple du feu, vers le palais et la salle dorée du roi, ils brulèrent tout le Zendavesta, ils consumèrent par le feu tout ce qu’il y avait de plus précieux.

Il se trouvait dans le temple quatre-vingts prêtres, dont les langues ne cessaient de prononcer le nom de Dieu: ils les tuèrent tous devant le feu sacré, ils mirent fin à leur vie de dévotion, et leur sang éteignit le feu de Zerdouscht.

Je ne sais qui a tué ce prêtre lui-même.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021