Guerschasp

Rustem amène Keïkobad du mont Alborz

...

Puis Zal le fortuné dit à Rustem :

Prends la massue, lève ton bras, pars en toute hâte pour le mont Alborz, choisis un cortège pour t’accompagner et rends hommage à Keïkobad, mais ne t’arrête pas un instant auprès de lui.

Il faut que tu sois revenu en deux semaines, qu’aucune circonstance n’arrête ta course et que tu lui dises que l’armée te demande ; elle a préparé pour toi le trône des rois, car nous ne voyons que toi, ô seigneur, qui sois digne de la couronne des Keïanides et tu seras notre défenseur.

Zal ayant parlé, Rustem toucha le sol de ses sourcils, sauta joyeusement sur le dos de Raksch et se hâta de se rendre auprès de Keïkobad.

Un grand nombre de Turcs placés en avant-postes sur la route marchèrent contre Rustem avide de vengeance.

Il les attaqua avec ses illustres hommes de guerre, tenant dans sa main une massue à tête de bœuf.

Il la leva et s’élança avec fureur, frappant de la massue et poussant des cris ; les Turcs étaient consternés et Rustem en renversa un grand nombre privés de force et de vie par son bras.

Les braves du Touran se précipitèrent sur lui, mais à la fin, ils s’enfuirent du champ de bataille.

Ils retournèrent vers Afrasiab, le cœur plein de sang, les yeux pleins de larmes et lui racontèrent toutes choses grandes et petites.

Afrasiab en fut affligé ; il appela devant lui Kaloun, un des braves parmi les Turcs, un héros fécond en ressources et lui dit :

Choisis des cavaliers dans l’armée, pars sur-le-champ et va jusqu’à la cour du roi.

Sois brave, prudent et sage et ne cesse d’être sur tes gardes, car les Iraniens sont une race maudite et tombent inopinément sur les avant-postes.

Kaloun quitta le roi, conduit par des guides ; il intercepta la route aux Iraniens avec des hommes de guerre et des éléphants furieux.

Rustem le brave, l’élu, continua de son côté sa marche vers le roi d’Iran ; et à la distance d’un mille du mont Alborz, il vit un grand et magnifique palais, entouré de beaucoup d’arbres et d’eaux vives où séjournaient des hommes dans la fleur de la jeunesse.

Un trône était placé près de l’eau, il était arrosé de musc pur et d’eau de rose ; un jeune homme brillant comme la lune était assis à l’ombre de ce trône et un grand nombre de Pehlewans formaient des rangs, portant des ceintures à la manière des grands ; ils composaient une assemblée digne d’un roi, semblable au paradis plein de parfums et de beauté.

Lorsqu’ils aperçurent le Pehlewan sur la route, ils s’avancèrent, en disant :

Ô illustre Pehlewan, il ne faut pas que tu ailles plus loin, car nous sommes prêts à te donner l’hospitalité et tu es notre hôte.

Descends ici selon notre désir pour que nous buvions joyeusement du vin, pour que nous buvions à ta santé, ô Pehlewan !

Rustem leur répondit ainsi :

Ô héros illustres, qui portez haut la tête !

Il faut que j’aille au mont Alborz pour une affaire de haute importance et qu’il ne me convient pas de retarder, car j’ai devant moi de longs et pénibles travaux.

Toute la frontière de l’Iran est remplie d’ennemis, dans chaque famille est le deuil et la désolation ; le trône de l’Iran est privé de roi et il ne m’est pas permis de boire du vin.

Ils lui dirent :

Ô Pehlewan de grand renom !

Si ta course est dirigée vers l’Alborz, il faut que tu nous redises, ô homme avide de gloire, qui tu vas y chercher ; car nous qui avons ici préparé une fête, nous sommes les gardiens de cette frontière bienheureuse.

Nous t’escorterons jusqu’à ce lieu et pendant ce temps notre amitié s’accroîtra.

Rustem répondit à cette assemblée :

Il y a là un roi au corps pur ; on donne le nom de Keïkobad à ce prince qui porte haut la tête ; il est de la race de Feridoun et plein de justice et de bon vouloir.

Enseignez-moi comment je pourrais trouver Keïkobad, si quelqu’un de vous sait où il est.

Là-dessus le chef de ces braves ouvrit les lèvres et dit :

Je connais Keïkobad ; si tu entres dans cette maison qui est notre demeure et que tu réjouisses nos âmes de ta présence, je te donnerai des renseignements sur ce prince, je te dépeindrai ses manières et son caractère.

Rustem, rapide comme levant, descendit de Raksch lorsqu’il entendit qu’on lui promettait des nouvelles sur Keïkobad et courut jusqu’au bord de l’eau où tous s’assirent à l’ombre.

Le jeune homme monta sur le trône d’or et prenant d’une main la main de Rustem, il remplit de l’autre une coupe de vin et la but en l’honneur de ses nobles hôtes, il donna à Rustem une autre coupe de vin et lui dit :

Ô héros renommé, tu m’as demandé des renseignements sur Kobad ; de qui sais-tu son nom ?

Rustem lui répondit :

Ô Pehlewan, je porte joyeusement un message ; on a préparé le trône des rois d’Iran et les grands ont choisi Keïkobad pour roi.

Mon père qui est l’élu de tous les grands et à qui l’on donne le nom de Zal-Zer, m’a dit :

Va jusqu’au mont Alborz accompagné d’un cortège ; va voir Keïkobad le brave.

Rends-lui hommage comme à ton roi et ne reste pas longtemps devant lui : dis-lui que les braves l’appellent et qu’ils ont préparé le trône de la royauté.

Maintenant si tu peux me donner un renseignement sur ce prince, donne-le et permets-lui d’arriver au trône.

Le jeune homme plein de bravoure sourit en entendant les paroles de Rustem et lui répondit :

Ô Pehlewan !

Je suis Keïkobad, issu de la race de Feridoun et je connais les noms de mes aïeux de père en fils.

Rustem l’entendit, baissa la tête et descendit du siège d’or pour faire hommage, en disant :

Ô roi des rois de la terre !

Refuge des braves, soutien des grands !

Que le trône d’Iran remplisse tes désirs, que le corps des éléphants de guerre se prenne dans tes lacets !

Ta place est sur le trône impérial.

Puisses-tu porter haut la tête et puisse la majesté reposer sur toi !

Je te rends hommage comme au roi du monde, au nom de Zal le chef de l’armée, le héros, le Pehlewan.

Si le roi veut le permettre à son esclave, je délierai ma langue.

Le valeureux Kobad se leva de son siège et prêta aux paroles de Rustem toute son attention et toute son âme.

Rustem alors ouvrit la bouche et s’acquitta du message du Sipehdar de l’Iran.

Le prince écouta ce discours, son cœur palpita de joie dans son sein.

Apportez, dit-il, une coupe de vin ;

Et il porta la coupe à ses lèvres en l’honneur de Rustem.

Rustem en vida une autre et appela sur l’âme du roi les grâces de Dieu, en disant :

Tu es l’image de Feridoun le glorieux et le cœur de Rustem est joyeux de t’avoir vu.

Puissent le monde et le trône des rois et la couronne des Keïanides n’être jamais privés de toi !

Les instruments de musique faisaient entendre leurs sons sur tous les tons ; la joie de tous était grande, leur souci était nul.

Le roi des rois dit au Pehlewan :

Mon âme joyeuse a eu un songe.

Deux faucons blancs sont venus vers moi du côté de l’Iran, tenant une couronne brillante comme le soleil ; ils se sont approchés de moi en se balançant et en se jouant et ont placé la couronne sur ma tête.

Lorsque je me suis réveillé, j’ai été plein d’espoir à cause de cette couronne brillante et de ces faucons blancs.

J’ai réuni cette assemblée digne d’un roi, telle que tu la vois sur le bord du fleuve ; et maintenant Rustem est devenu pour moi comme le faucon blanc et j’ai reçu le message touchant la couronne des braves.

Rustem ayant entendu le récit du songe du roi relatif aux faucons et à la couronne brillante comme la lune, dit au roi des grands pleins d’orgueil :

Ton songe est un présage donné par les prophètes ; lève-toi pour que nous allions dans l’Iran, pour que nous allions ensemble rejoindre les braves.

Kobad se leva, rapide comme la flamme et sauta sur son cheval de guerre.

Rustem se serra aussitôt la taille avec sa ceinture et partit en toute hâte avec Keïkobad.

Il ne se lassa pas d’aller nuit et jour, jusqu’à ce qu’il eût atteint les avant-postes des Touraniens.

Kaloun le brave en eut nouvelle et vint à sa rencontre pour le combattre.

Le roi d’Iran s’en apercevant, voulut ranger son armée en face des ennemis ; mais Rustem lui dit :

Ô roi, un tel combat n’est pas digne de toi ; moi et Raksch, ma massue et l’armure de mon cheval, ils ne pourront pas nous résister.

Mon cœur, mon cheval et ma massue, c’est assez d’amis pour moi et je ne désire que Dieu pour gardien.

Qui osera s’opposer à ma massue et à mon épée, quand j’ai pour moi cette main et sous moi ce cheval couleur de rose ?

Il dit et faisant bondir Raksch, il distribuait des coups comme les donne un brave.

Il prenait un Turc et s’en servait pour en frapper un autre, de sorte que la cervelle leur sortait par le nez.

Il arrachait avec sa main les cavaliers de leurs selles l’un après l’autre et les jetait contre terre ; il les lançait avec une telle force qu’il leur brisait le crâne, le cou et le dos.

Kaloun crut voir un Div qui aurait rompu ses liens tenant en main une massue et ayant un lacet suspendu à sa selle.

Il s’élança sur lui, rapide comme le vent, le frappa de sa lance et lui coupa les nœuds de sa cuirasse.

Mais Rustem étendit la main et saisit la lance de Kaloun, qui resta étonné de cette hardiesse.

Rustem arracha la lance de la main de ce brave ; sa voix résonnait comme résonne le tonnerre dans les montagnes ; il le frappa de sa lance, l’enleva de la selle et planta la pointe de sa lance en terre.

Kaloun était comme un oiseau percé d’une broche et toute son armée le vit.

Rustem fit bondir Raksch sur lui, le foula aux pieds comme une chose vile et fit jaillir toute sa cervelle.

Tous les cavaliers de Kaloun tournèrent le dos et laissèrent leur chef gisant en ce lieu ; toute son armée s’enfuit devant Rustem et sa fortune s’évanouit tout à coup.

Rustem ayant tué un grand nombre de cavaliers des avant-postes, continua rapidement son chemin vers les montagnes, où il trouva des pâturages et des eaux vives ; c’est là que le Pehlewan s’arrêta.

Il prépara jusqu’à la nuit sombre toutes choses, des robes dignes de son rang, la couronne et les armes du roi.

La nuit étant venue, le prudent Pehlewan se concerta avec le roi du pays d’Iran et le mena à la faveur de l’obscurité auprès de Zal, sans proférer une parole pendant ces allées et venues.

Ils restèrent sept jours avec leurs conseillers et les Mobeds s’accordèrent tous à dire que jamais dans le monde il n’y aurait un roi comme le roi Keïkobad.

Ils restèrent ensemble joyeusement pendant sept jours, banquetant et buvant du vin devant Keïkobad ; et le huitième jour, ils préparèrent le trône d’ivoire et placèrent dessus la couronne.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021