Feridoun

Feridoun reçoit la nouvelle de la mort d'Iredj

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Feridoun tenait ses deux yeux sur la route ; l’armée et la couronne soupiraient après l’arrivée du jeune roi.

Lorsque le temps de son retour fut venu, comment le père apprit-il l’événement ?

Il avait préparé pour son fils un trône de turquoises et avait incrusté de pierreries sa couronne.

On se disposait à aller a sa rencontre, on avait demandé du vin, des chants et de la musique ; on apporta la timbale et on amena l’éléphant digne de lui ; on apprêtait pour lui des fêtes dans toutes ses provinces.

Telle était l’occupation du roi et de l’armée, lorsqu’une poussière noire s’éleva sur la route.

Un dromadaire sortit de cette poussière, monté par un cavalier navré de douleur.

Ce porteur de deuil poussa un cri ; il tenait sur son sein un coffre d’or, dans le coffre d’or était une étoffe de soie, dans la soie était placée la tête d’Iredj.

Ce bon messager arriva devant Feridoun, faisant des lamentations et portant le deuil sur sa face.

On leva le couvercle du coffre d’or, car les paroles du messager annonçaient un grand malheur et aussitôt qu’on eut tiré du coffre la soie brodée, parut la tête coupée d’Iredj.

Feridoun tomba de son cheval par terre, tous ses braves déchirèrent leurs vêtements, leurs joues étaient noires, leurs yeux étaient blancs, car ils avaient espéré voir autre chose.

Le jeune roi étant revenu de cette manière, l’armée s’en retourna de la rencontre qu’elle lui avait préparée, ses étendards en lambeaux, ses timbales tournées à contre-sens, les joues des nobles devenues noires.

Les timbales et les éléphants étaient couverts de crêpes, les chevaux arabes étaient peints en bleu.

Le roi était à pied, à pied était son armée.

Ils reprirent leur chemin la tête couverte de poussière.

Les héros poussaient des cris de douleur, les nobles arrachaient la chair de leurs bras.

Ne te fie pas à l’amour que te porte le sort, le propre d’un arc n’est pas d’être droit.

Le ciel tourne au-dessus de nous de manière à nous ravir bientôt la face qu’il nous a présentée.

Lorsque tu le traites en ennemi, il te témoigne de l’amour ; quand tu l’appelles ton ami, il ne te montre pas son visage.

Je te donnerai un bon conseil : lave ton âme de l’amour de ce monde.

L’armée, dont le cœur était brisé et le roi, qui poussait des cris de douleur, se tournèrent vers le jardin d’Iredj, où était la grande salle des banquets dans les jours où l’on célébrait les fêtes des rois.

Feridoun entra en chancelant, pressant contre son cœur la tête du jeune roi son fils.

Il jeta les yeux sur ce trône impérial, puis il regarda la tête sans couronne de son fils et le bassin royal du jardin et les hauts cyprès et les arbres qui versent des roses et les saules et les cognassiers.

Il jeta de la terre noire sur le trône et les cris de l’armée montèrent jusqu’à Saturne.

Il poussait des soupirs, il arrachait ses cheveux, il versait des larmes et se meurtrissait la face ; il se ceignit d’une ceinture teinte de sang et lança du feu dans le palais que son fils avait habité.

Il dévasta son jardin de roses et brûla ses cyprès ; il ferma entièrement l’œil de la joie.

Il embrassa la tête d’Iredj, tourna sa face vers le Créateur et dit :

Ô maître du monde, dispensateur de la justice !

Regarde cet innocent qui a été assassiné ; sa tête coupée par l’épée, est devant moi, son corps a été dévoré par les lions de ce peuple.

Brûle les cœurs de ces deux méchants, de sorte qu’ils ne voient jamais que des jours malheureux ; fais qu’ils soient percés par la brûlure de leurs entrailles, de telle sorte que les bêtes féroces en aient pitié.

Je désire, ô Dieu créateur du monde, que le sort me laisse assez de vie pour que je vois un héros né de la race d’Iredj, se ceindre pour le venger et trancher la tête de ces deux méchants comme ils ont coupé la tête de cet innocent.

Quand j’aurai vu cela, il me conviendra d’aller là où la terre mesurera ma stature.

Il pleura ainsi dans son amertume, si longtemps que l’herbe crut et s’éleva jusque sur son sein.

La terre était sa couche et la poussière son lit et ses yeux brillants s’obscurcirent.

La porte de son palais était fermée et sa langue ne cessait de dire avec amertume :

Ô jeune héros !

Jamais prince n’est mort comme tu es mort, ô mon fils illustre !

Ta tête a été coupée indignement par Ahriman, ton corps a eu pour linceul les gueules des lions.

Les bêtes fauves étaient privées de repos et de sommeil, tant elles criaient, se lamentaient et pleuraient.

Les hommes et les femmes, dans toutes les provinces se rassemblèrent en tout lieu et demeurèrent dans la douleur et dans le deuil, les yeux pleins de larmes, le cœur plein de sang.

Que de jours ils ont passés ainsi, regardant tous la vie comme une mort !

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021