Djemschid

Commencement du récit

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Djemschid, son fils glorieux, plein d’énergie et le cœur rempli des conseils de son père, monta sur le trône brillant de Thahmouras, la couronne d’or sur la tête, selon la coutume des rois ; il était ceint de la splendeur impériale et l’univers entier se soumit à lui.

Le monde était calme et sans discorde et les Divs, les oiseaux et les Péris lui obéirent.

La prospérité du monde s’accrut par lui et le trône des rois brilla sous lui.

Il dit :

Je suis orné de l’éclat de Dieu, je suis roi et je suis Mobed ; j’empêcherai les méchants de faire le mal, je guiderai les esprits vers la lumière.

D’abord il s’occupa des armes de guerre pour ouvrir aux braves la route de la gloire.

Il amollit le fer par sa puissance royale et lui donna la forme de casques, de lances, de cuirasses, de cottes de mailles et d’armures pour couvrir les chevaux.

Il acheva tout cela par les lumières de son esprit ; il y travailla pendant cinquante ans et se fit un trésor de ces armes.

Pendant cinquante autres années, il tourna ses pensées vers la fabrication des vêtements, pour que l’on pût s’en couvrir aux jours de fête et de combat.

Il fit des étoffes de lin, de soie, de laine, de poil de castor et de riche brocart ; il enseigna aux hommes à tordre, à filer et à entrelacer la trame dans la chaîne ; et quand l'étoffe était tissue, ils se mirent à apprendre de lui, tout à la fois, à la laver et à en faire des habits.

Cela étant achevé, il commença un autre travail ; le monde était heureux par lui et lui-même se trouvait heureux.

Il réunit ensemble ceux qui exerçaient les mêmes professions et y employa cinquante ans.

D’abord la caste de ceux qu’on nomme Amousian : sache qu’ils sont voués aux cérémonies du culte.

Il les sépara du reste du peuple et leur assigna les montagnes pour y adorer Dieu, pour s’y consacrer à la religion et se tenir en méditation devant Dieu le lumineux.

De l’autre côté se plaça une caste, à laquelle fut donné le nom de Nisarian ; ce sont eux qui combattent avec le courage des lions, qui brillent à la tête des armées et des provinces, qui ont à défendre le trône du roi et à maintenir la gloire que donne la bravoure.

Sache que la troisième caste porte le nom de Nesoudi : ils ne rendent hommage à personne ; ils labourent, ils sèment, ils récoltent et se nourrissent des fruits de leurs travaux sans reproche.

Ils n’obéissent à personne, quoique leurs vêtements soient pauvres et leur oreille n’est jamais frappée parle bruit de la calomnie.

Ils sont libres et la culture de la terre leur est due ; ils n’ont pas d’ennemis ; ils n’ont pas de querelles.

Un homme sage et libre a dit :

C’est la paresse qui rend esclaves ceux qui devraient être libres.

La quatrième caste est celle des Ahnoukhouschi, qui sont actifs pour le gain et pleins d’arrogance ; les métiers sont leur occupation et leur esprit est toujours en souci.

Djemschid y employa encore cinquante ans, pendant lesquels il conféra beaucoup de bienfaits.

Il assigna à chacun la place qui lui convenait et leur indiqua leur voie, pour que tous comprissent leur position et reconnussent ce qui était au-dessus et au-dessous d’eux.

Puis le roi ordonna aux Divs impurs de mêler de l’eau avec de la terre ; et lorsqu’ils eurent compris ce qu’on pouvait en faire, ils préparèrent des moules pour y former des briques légères.

Les Divs construisirent d’abord un fondement avec des pierres et du mortier, puis ils élevèrent au-dessus des ouvrages selon les règles de l’art, comme, des bains et de hauts édifices et un palais pour que l’infortune y trouvât un asile.

Il employa un autre espace de temps pour chercher parmi les pierres celles qui sont précieuses et le roi investigateur fit ressortir leur éclat ; il découvrit toute espèce de minéraux précieux comme le rubis, l’ambre jaune, l’argent et l’or.

Il les sépara des autres pierres par son art magique et résolut entièrement ce mystère.

Puis, il inventa les parfums que les hommes aiment à respirer, comme le baume, le camphre et le pur musc ; comme l’aloès, l’ambre et l’eau de rose limpide.

Après, il inventa la médecine, les remèdes contre tout mal et les moyens de conserver la santé et de guérir les blessures.

Il mit au jour tout ce qui était secret ; jamais le monde n’avait possédé un investigateur comme lui.

Ensuite il se mit à parcourir les mers dans un vaisseau, visitant rapidement pays après pays.

C’est ainsi qu’il remplit encore cinquante années et nulle qualité des êtres ne restait cachée devant son esprit.

Lorsque toutes ces grandes choses furent accomplies, il ne vit plus dans le monde que lui-même ; lorsque toutes ces entreprises eurent réussi, il essaya de s’élever au-dessus de sa haute condition.

Il fit un trône digne d’un roi et y incrusta toute sorte de pierreries ; et à son ordre les Divs le soulevèrent et le portèrent de la terre vers la voûte du ciel.

Le puissant roi y était assis comme le soleil brillant au milieu des cieux.

Les hommes s’assemblèrent autour de son trône, étonnés de sa haute fortune ; ils versèrent sur lui des joyaux et donnèrent à ce jour le nom de jour nouveau (Neurouz) : c’était le jour de la nouvelle année, le premier du mois Ferverdin.

En ce jour, le corps se reposait de son travail, le cœur oubliait ses haines.

Les grands, dans leur joie, préparèrent une fête, ils demandèrent du vin, des coupes et des chanteurs ; et cette glorieuse fête s’est conservée, de ce temps jusqu’à nous, en souvenir du roi.

Ainsi s’étaient passés trois cents ans, pendant lesquels la mort était inconnue parmi les hommes.

Ils ne connaissaient ni la peine, ni le malheur et les Divs étaient ceints comme des esclaves.

Les hommes étaient attentifs aux ordres de Djemschid et les doux sons de la musique remplissaient le monde.

Ainsi passèrent les années : Djemschid brillait de la splendeur des rois ; le monde était en paix par les efforts de ce maître fortuné.

Le roi reçut toujours de nouveaux messages de Dieu, et, pendant longtemps, les hommes ne virent en lui rien que de bien.

Le monde tout entier lui était soumis et il était assis dans la majesté des rois ; mais tout à coup il fixa son regard sur le trône du pouvoir et ne vit plus dans le monde que lui-même ; lui qui avait rendu jusque-là hommage à Dieu, devint orgueilleux, il se délia de Dieu et ne l’adora plus.

Il appela de l’armée tous les grands de l’empire et leur fit beaucoup de discours ; il dit à ces vieillards puissants :

Je ne reconnais dans le monde que moi ; c’est moi qui ai fait naître l’intelligence dans l’univers et jamais le trône glorieux des rois n’a connu un maître comme moi ; c’est moi qui ai parfaitement ordonné le monde et la terre n’est devenue ce qu’elle est que par ma volonté.

C’est à moi que vous devez votre nourriture, votre sommeil, votre tranquillité ; c’est à moi que vous devez vos vêtements et toutes vos jouissances.

Le pouvoir, le diadème et l’empire sont à moi.

Qui oserait dire qu’il y a un roi autre que moi ?

J’ai sauvé le monde par les médecines et les remèdes, de sorte que les maladies et la mort n’ont atteint personne : tant que le monde aura des rois, qui d’entre eux pourrait éloigner la mort, si ce n’est moi ?

C’est moi qui vous ai doués d’âme et d’intelligence ; et il n’y a que ceux qui appartiennent à Ahriman qui ne m’adorent pas.

Maintenant que vous savez que c’est moi qui ai fait tout cela, il faut reconnaître en moi le créateur du monde.

Tous les Mobeds laissaient tomber leur tête, personne ne savait que répondre.

Après ce discours, la grâce de Dieu se retira de lui et le monde se remplit de discorde.

Chacun détourna sa face de la cour du roi, aucun des grands ne resta auprès de lui et pendant vingt-trois ans, ils tinrent l’armée dispersée et loin de la cour.

Quand la raison ne se soumet pas à Dieu, elle amène la destruction sur elle-même et s’anéantit.

Un homme sage a dit avec justesse et prudence :

Quoique tu sois roi, pratique l’humilité envers Dieu ; car quiconque ne révère pas le Créateur, ne trouve de tous côtés que des terreurs.

Le jour s’obscurcit devant Djemschid ; son pouvoir, qui avait illuminé le monde, disparut ; le sang coula de ses yeux sur son sein ; il demanda pardon à Dieu : mais sa grâce l’avait abandonné et les terreurs du criminel s’étaient emparées de lui.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021