Zohak

Commencement du récit

...

Zohak s’étant emparé du trône des rois, y resta mille ans ; le monde entier se soumit à lui et un long espace de temps se passa ainsi.

Les coutumes des hommes de bien disparurent et les désirs des méchants s’accomplirent.

La vertu était méprisée, la magie était en honneur, la droiture demeurait cachée, le vice se montrait au grand jour.

Les Divs étaient puissants à faire le mal et l’on n’osait parler de ce qui est bien qu’en secret.

On tira du palais de Djemschid deux innocentes femmes, tremblantes comme les feuilles du peuplier, toutes les deux filles de Djemschid.

Elles étaient comme la couronne pour la tête des femmes : Schehrinaz était le nom d’une de ces femmes voilées ; l’autre s’appelait Arnewaz et sa face était comme la face de la lune.

On les amena au palais de Zohak ; on les livra à ce monstre à tête de serpent, qui les éleva dans les voies de la méchanceté et leur enseigna la perversité et la magie.

Il ne pouvait enseigner que l’amour du mal, que la dévastation, le meurtre et l’incendie.

Le cuisinier amenait chaque nuit dans le palais du roi deux jeunes gens, tantôt d’humble naissance, tantôt de noble origine, pour en préparer un remède à Zohak.

Il les tuait, ôtait leurs cervelles et en faisait une nourriture pour les serpents.

Or, il y avait dans le pays du roi deux hommes purs, deux hommes nobles, de race Parsi : l’un se nommait Irmaïl le pieux ; l’autre, Guirmaïl le clairvoyant.

Il arriva qu’un jour se trouvant ensemble, ils parlèrent de toute chose, grande et petite, du roi injuste, de son armée et de ces horribles coutumes dignes de lui.

L’un dit :

Nous devrions, par l’art de la cuisine, nous introduire auprès du roi et appliquer notre esprit à imaginer quelque moyen de sauver chaque jour un de ces deux hommes dont on verse le sang.

S’étant mis à l’œuvre, ils apprirent l’art du cuisinier et réussirent à apprêter les mets dans les justes proportions.

Alors ces deux hommes prudents se chargèrent de la cuisine du roi avec une joie secrète ; et lorsque le temps fut venu de verser le sang des victimes et de les arracher à la douce vie, on amena en hâte et en les maltraitant devant les cuisiniers, deux hommes dans la fleur de la jeunesse, que les gardes du roi chargés de ses exécutions avaient pris et qu’ils jetèrent la face contre terre.

Le cœur des cuisiniers était plein de douleur, leurs deux yeux pleins de sang, leur tête remplie du désir de vengeance.

Ils se regardèrent l’un l’autre et eurent horreur de la cruauté du roi de la terre.

Ils tuèrent l’un des deux, car ils ne savaient aucun moyen de faire autrement, puis il prirent la cervelle d’un mouton et la mêlèrent à la cervelle de l’homme.

Ils accordèrent vie et protection à l’autre et lui dirent :

Prends les moyens de te sauver secrètement ; garde-toi de séjourner dans une ville habitée ; ta part dans le monde sera le désert et la montagne.

Au lieu de sa tête, ils prirent la vile tête de l’animal et en firent un ragoût pour les serpents.

De cette manière, trente jeunes gens étaient sauvés chaque mois ; et lorsque les cuisiniers en avaient rassemblé deux cents, ils leur donnaient quelques chèvres et quelques moutons, sans que les jeunes gens sussent de qui leur venait ce don et ils les envoyaient dans le désert.

C’est d’eux qu’est née la race actuelle des Curdes, qui ne connaissent aucune habitation fixe, dont les maisons sont des tentes et qui n’ont dans le cœur aucune crainte de Dieu.

La conduite de Zohak le pervers fut telle que, lorsque l’envie lui en prenait, il choisissait un de ses hommes de guerre et le mettait à mort, en lui disant :

Tu as fait alliance avec les Divs !

Et s’il y avait une fille renommée pour sa beauté, cachée derrière le voile, pure et sans reproche, il en faisait son esclave.

Il n’avait aucune vertu de roi, aucune loi, aucune foi.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021