Minoutchehr

Les esclaves de Roudabeh voient Zal-Zer

...

Les esclaves la quittèrent en courant, et, dans leur désespoir, s’appliquèrent à leur ruse.

Elles s’ornèrent de brocarts de Roum et mirent des roses dans les boucles de leurs cheveux.

Toutes les cinq se rendirent sur le bord de la rivière, embellies de couleurs et de parfums comme le gai printemps.

C’était le mois de Ferwerdin et le commencement de l’année.

Le camp de Zal était posé sur le bord de la rivière et les jeunes filles se trouvèrent sur l’autre rive conversant entre elles sur le Destan.

Elles cueillirent des roses sur la rive et elles en remplirent leur sein ; leurs joues étaient comme un jardin de roses.

Elles allèrent de tous côtés cueillant des fleurs et lorsqu’elles se trouvèrent en face des tentes du roi, Zal les aperçut de son trône élevé et demanda qui étaient ces adoratrices de roses.

Celui à qui il avait parlé lui répondit :

Ce sont des esclaves que la lune du Kaboulistan aura envoyées du palais de Mihrab à l’âme brillante, dans le jardin de roses.

Zal l’entendit, son cœur bondit ; son amour était tel qu’il ne put rester en place.

Le héros qui désirait la possession du monde se dirigea en toute hâte vers le rivage, accompagné d’un esclave.

Quand il vit les jeunes filles sur l’autre rive, il demanda un arc à son esclave et étendit son bras.

Il était à pied, comme s’il fût sorti pour chasser ; il vit un oiseau aquatique sur la rivière.

L’esclave aux joues de rose tendit l’arc et le remit dans la main gauche du héros.

Zal poussa un cri pour faire lever l’oiseau et tira aussitôt sa flèche.

Il abattit l’oiseau qui tournait en cercle et dont le sang tombait par gouttes et rougissait l’eau.

Zal ordonna alors à l’esclave de passer à l’autre rive et d’aller lui chercher la proie qu’il avait abattue.

L’esclave traversa la rivière sur une barque et s’approcha des jeunes filles.

Une d’elles s’adressa au page au visage de lune et lui fit des questions sur le Pehlewan avide de gloire :

Ce brave au bras de lion, au corps d’éléphant, qui est-il et de quel peuple est-il roi ?

Que peut peser un ennemi devant un homme qui a lancé de cette façon une flèche de son arc ?

Jamais nous n’avons vu un cavalier plus gracieux et plus habile à manier l’arc et la flèche.

L’esclave au visage de Péri se mordit les lèvres et lui répondit :

Ne parle pas ainsi du roi, c’est le maître du royaume du midi, le fils de Sam ; les rois l’appellent du nom de Destan.

Le ciel ne tourne pas sur un cavalier aussi adroit que lui et le monde ne connaît pas son égal en gloire.

La jeune fille sourit à ces paroles du page au visage de lune et lui répondit :

Ne parle pas ainsi, car Mihrab a dans son palais une lune qui est plus haute d’une tête que ton maître.

De taille, c’est un platane ; de couleur, c’est de l’ivoire et elle porte sur la tête une couronne de musc que Dieu lui a donnée ; ses deux yeux sont sombres ; ses sourcils sont des arcs ; son nez est une colonne mince comme un roseau argenté ; sa bouche est étroite comme le cœur d’un homme triste et les boucles de ses cheveux sont comme des anneaux pour les pieds ; ses deux yeux sont pleins de langueur, ses traits pleins d’éclat ; ses joues couvertes de tulipes ; ses cheveux sont comme du musc, le souffle de la vie ne trouve de chemin que par ses lèvres ; il n’y a pas dans le monde une lune comparable à elle.

Nous sommes venues de Kaboul ; nous sommes venues auprès du roi de Zaboulistan, dans le dessein de réunir ces lèvres de rubis aux lèvres du fils de Sam ; ce serait une chose convenable et à souhaiter, que Roudabeh devînt la compagne de Zal.

Quand le page au beau visage eut entendu ces paroles des esclaves, ses joues devinrent couleur de rubis et il leur répondit :

La lune convient bien au soleil brillant.

Quand l’univers veut réunir deux êtres, il ouvre le cœur de chacun d’eux à l’amour ; quand il veut les séparer, il n’a pas besoin de discours, il emporte soudain l’un loin de l’autre ; il sépare ouvertement, il lie secrètement et l’un et l’autre est dans sa nature.

Quand un homme de cœur veut conserver la pureté de son épouse, il la garde dans le repos et dans le secret ; et pour que sa fille ne s’avilisse pas, il faut qu’elle n’entende que de bonnes paroles.

Voici ce qu’a dit à sa femelle un faucon mâle, lorsqu’elle couvait ses œufs et étendait ses ailes dessus : Si tu fais sortir une femelle de cet œuf, tu ôteras au père l’envie d’avoir des petits.

Le page s’en retourna en souriant et le fils illustre de Sam lui demanda :

Que t’ont-elles dit, que tu souris ainsi en ouvrant tes lèvres et en montrant tes dents argentées ?

Il raconta au Pehlewan ce qu’il avait entendu et la joie rajeunit le cœur du brave.

Il dit au jeune homme au visage de lune :

Va et dis à ces esclaves de rester un instant dans le jardin, peut-être remporteront-elles avec leurs roses des joyaux ; il ne faut pas qu’elles retournent au palais sans que je les charge secrètement d’un message.

Il choisit dans son trésor de l’argent et de l’or, des joyaux et cinq pièces de brocart précieux à sept couleurs et ordonna qu’on les leur portât secrètement et sans en parler à personne.

Les esclaves allèrent auprès des cinq jeunes filles au visage de lune, porteurs de paroles pleines de chaleur et chargés de pièces d’or et de trésors.

Ils leur remirent l’or et les joyaux au nom de Zal le Pehlewan et une des esclaves dit au messager au visage de lune :

Une parole ne restera jamais secrète si elle ne demeure pas entre deux personnes ; entre trois, il n’y a déjà plus de secret et quatre, c’est une multitude.

Ô homme de sens et de bonnes intentions, dis à ton maître qu’il se confie à moi s’il a un secret à dire.

Les jeunes filles se dirent entre elles :

Le lion est entré dans le filet ; les vœux de Roudabeh et ceux de Zal s’accomplissent ; un sort heureux nous a guidés.

Le trésorier aux yeux noirs qui, en cette affaire, était le confident de son maître, revint auprès du roi et lui rapporta en secret toutes les paroles qu’il avait entendues de ces enchanteresses.

Le roi alla vers le jardin de roses et s’approcha des jeunes filles de Kaboul et ces idoles de Tharaz au visage de Péri, aux joues de roses, s’avancèrent et l’adorèrent.

Le roi leur fit des questions sur la taille et le visage de ce cyprès, sur son langage, sa mine, son intelligence et son esprit, pour savoir si elle était digne de lui.

Dites-moi tout et gardez-vous de me tromper.

Si vous me dites la vérité, je vous comblerai d’honneur ; mais si je soupçonne une seule fausseté, je vous ferai jeter sous les pieds des éléphants.

Les joues des esclaves devinrent rouge : comme la sandaraque et elles baisèrent la terre devant le roi.

Une d’entre elles, plus jeune d’années, mais pleine d’éloquence et de cœur, répondit à Zal :

Jamais mère, parmi les grands, ne mettra au monde un enfant ayant la mine et la taille de Zal, sa pureté de cœur, sa sagesse et sa prudence ; mais s’il y avait un autre homme, ô vaillant cavalier, qui eût ta stature et ton bras de lion, Roudabeh au beau visage serait votre égale à tous deux ; c’est un cyprès argenté rempli de couleurs et de parfums, une rose et un jasmin de la tête aux pieds, c’est l’étoile du Yémen au-dessus d’un cyprès ; tu dirais que ses traits versent du vin et que toute sa chevelure est d’ambre.

Du dôme argenté de sa tête tombent jusqu’à terre par-dessus les roses de ses joues les lacets de l’embuscade ; sa tête est tissue de musc et d’ambre ; son corps est pétri de rubis et de joyaux ; les boucles et les tresses de ses cheveux sont comme une cotte de mailles de musc ; tu dirais qu’elles tombent anneau sur anneau : on ne, voit pas, à la Chine, une idole semblable à elle ; la lune et les Pléiades lui rendent hommage.

Le roi répondit avec chaleur à l’esclave, par des paroles douces et d’une voix douce :

Dis-moi quel moyen il y a de trouver un chemin vers elle, car mon âme et mon cœur sont remplis d’amour pour elle et tout mon désir est de voir son visage

L’esclave lui répondit :

Si tu le permets, nous allons retourner au palais du cyprès, où nous mettrons en œuvre nos ruses, où nous ferons nos récits sur l’intelligence du Pehlewan, sur son aspect, sur sa mine, sur son langage et sur son âme brillante : nous ne cachons aucun mauvais dessein.

Nous amènerons la tête musquée de Roudabeh dans les filets et sa bouche sous la bouche du fils de Sam.

Si le héros veut se rendre, avec un lacet, devant le palais et son toit élevé et jeter un nœud autour d’un des créneaux, le lion se réjouira de sa chasse à la brebis.

Regarde-la alors aussi longtemps qu’il te plaira ; ce que nous venons de dire te prépare une grande joie.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021