Keï Khosrou

Keï Khosrou promet à Kaous de se venger d'Afrasiab

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Lorsque le soleil resplendissant eut amené l’aube du jour et qu’il eut répandu ses rubis sur la terre sombre, Khosrou et Kaous, ces deux rois orgueilleux, dont les traces portaient bonheur, s’assirent avec Rustem et le Destan.

Kaous parla de toutes choses et d’abord d’Afrasiab, en inondant ses deux joues de larmes de sang ; il raconta comment ce Turc avait traité Siawusch, comment il avait dévasté l’Iran, combien de Pehlewans il avait tués et comment il avait réduit au désespoir les femmes et les enfants des braves.

Kaous dit à Keï Khosrou :

Tu trouveras, dans l’Iran, beaucoup de villes saccagées et détruites par sa main.

Mais toutes les grâces de Dieu reposent sur toi, tu es puissant, sage et vaillant ; la fortune des Keïanides et ta bonne étoile t’ont doué de qualités plus relevées que celles de tous les rois.

Maintenant j’exige de toi un serment solennel et qu’il faut que tu tiennes scrupuleusement.

Jure-moi que tu rempliras ton cœur de haine contre Afrasiab et que tu ne laisseras pas éteindre le souffle de cette flamme par l’eau de l’oubli, que tu ne le regarderas pas comme le père de ta mère, que tu ne te laisseras pas fléchir par lui et que tu n’écouteras rien en sa faveur ; que les trésors et l’ambition ne te séduiront pas, quelle que soit ta fortune, bonne ou mauvaise ; que ni la massue ni l’épée, ni le trône, ni le diadème, ni ses paroles ne te détourneront.

Je vais te dire par quoi tu dois jurer, car qu’y a-t-il de meilleur qu’un conseil pour l’esprit et pour l’âme ?

Tu jureras par le maître du soleil et de la lune, par la couronne, le trône, le sceau et le diadème, par le souvenir de Feridoun, par la majesté et les devoirs de la royauté, par le sang de Siawusch et par ton âme, ô roi !

Par la grâce de Dieu et la bonne étoile qu’il t’a accordée, que jamais tu ne pencheras vers le mal, que tu ne chercheras d’autre intermédiaire, entre toi et Afrasiab, que le glaive et la massue, que tu humilieras son orgueil, que tu abaisseras sa haute stature.

Lorsque le jeune roi eut entendu les paroles de Kaous, il se tourna vers le feu, et, en versant des larmes, jura par Dieu le tout-puissant, par le jour brillant et la nuit noire, par le soleil et la lune, par le trône et le diadème, par le sceau, l’épée et la couronne du roi, que jamais il ne regarderait Afrasiab favorablement, que jamais il ne verrait son visage, même en songe.

On consigna ce serment par écrit ;

On l’écrivit avec du musc, en langue Pehlewi, sur un rôle royal ;

Le Destan, Rustem et tous les chefs de l’armée l’attestèrent par le sceau ; et ce document, contenant le serment, les sceaux et les attestations, fut confié à la garde de Rustem.

Ensuite ils demandèrent des tables et du vin et formèrent une assemblée joyeuse.

Les grands restèrent sept jours dans le palais de Keï Kaous, écoutant de la musique et buvant du vin.

Le huitième jour, le maître du monde se lava la tête et le corps, composa son visage et se rendit au sanctuaire, où il se présenta devant le maître des sphères qui tournent, où il exhala sa piété en adorations.

Il y demeura durant la nuit sombre et jusqu’à ce que le soleil parût, en soupirant, en versant des larmes et en disant :

Ô Dieu unique distributeur de la justice, Seigneur qui dispense la bonne fortune et qui guide les hommes !

Tu m’as délivré de la gueule du dragon dans les jours de ma jeunesse et quand j’étais sans armée ;

Tu sais que le maître du Touran n’a pas de conscience et ne craint pas de faire le mal ;

Les pays habités et les déserts le maudissent ; les cœurs des innocents sont remplis de haine contre lui.

Il a dévasté par le feu ce beau pays ; il a couvert la tête des braves de la poussière des soucis ; il a répandu sur la terre, injustement, le sang de Siawusch ; il a déchiré nos cœurs.

Les rois tremblent devant lui ; son trône et son diadème sont les fléaux du monde. Tu sais que sa nature est méchante, que sa naissance est vile et que c’est un magicien.

Après avoir touché plusieurs fois la terre avec son front et célébré les louanges du Créateur, il s’en retourna à son trône et dit aux Pehlewans qui portaient haut la tête :

Ô mes braves, qui êtes prêts à conquérir le monde et à frapper avec vos épées !

J’ai traversé à cheval le pays d’Iran, d’ici jusqu’au temple d’Aderguschasp.

Je n’ai pas rencontré un seul homme heureux, un seul riche, un seul dont les terres fussent bien cultivées ;

Tous ont été frappés par Afrasiab ; tous les cœurs sont gonflés de sang, tous les yeux inondés de larmes.

Il m’a blessé au cœur moi le premier, il a fait souffrir mon corps et mon âme.

Le noble roi mon grand-père ne cesse également de pousser des soupirs et dans tout le pays d’Iran on entend les hommes et les femmes se lamenter sur les meurtres et les pillages, sur les guerres et les dévastations.

Maintenant, puisque vous êtes tous mes amis sincères, puisque vous m’êtes tous dévoués, armons-nous pour venger mon père, délivrons l’Iran de ses maux ;

Allons tous à la guerre, luttons et combattons comme des léopards.

Je changerai l’état du monde, je couvrirai la plaine de montagnes de morts dans le combat des héros.

C’est Afrasiab sur qui tombera tout le sang qui sera versé et qui en sera responsable ; et si quelqu’un des nôtres succombe, il ira demeurer dans le paradis sublime.

Que dites-vous ?

Que me répondez-vous ?

Donnez-moi vos conseils qui portent bonheur.

Vous savez qu’Afrasiab est l’auteur de ces maux, il faut donc songer à le punir et non pas à nous reposer.

Les grands se levèrent le cœur plein d’amertume et lui répondirent :

Ô roi !

Puisse ton âme être contente !

Puisse ton corps être toujours exempt de douleur !

Nous sommes à toi corps et âme ; nous ne sommes tristes que de tes pertes et heureux que de ton bonheur.

Nos mères nous ont mis au monde pour mourir et quoique hommes libres, nous sommes tes esclaves.

Lorsque le roi eut reçu cette réponse de Rustem, de Thous, de Gouderz et de tout le reste de l’assemblée, son visage s’épanouit comme la rose ; car jeune lui-même, il se sentait maître d’un empire jeune.

Il prononça des bénédictions sur eux, disant :

Puisse le monde prospérer sous ces héros !

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021