Guschtasp

Première Station - Isfendiar tue les deux loups

Lorsque le Dihkan qui raconte les histoires eut placé la table, il fit le récit des sept stations; il saisit de la main une coupe d’or, et se mit à parler de Guschtasp, du château d’airain, des hauts faits d’Isfendiar, de sa route et des instructions données par Kergsar, disant: Isfendiar était sorti de Balkh, la bouche et l’âme remplies de paroles amères; il quitta son père et prit la route du Touran en emmenant Kergsar.

Il continua jusqu’à ce qu’il fût arrivé à un endroit où deux routes se présentèrent; il y fit dresser ses tentes et celles de l’armée, placer les tables, et demander du vin et de la musique.

Tous les héros de l’armée arrivèrent et s’assirent à la table du roi du peuple.

Ensuite il ordonna qu’on amenât devant lui Kergsar au cœur ulcéré, et qu’on lui remplit coup sur coup quatre fois une coupe d’or, puis il lui dit:

Ô toi, dont la fortune est assombrie, je te ferai parvenir au trône et à la couronne; si tu réponds selon la vérité à toutes mes questions, tout le pays de Touran sera à toi;

je te le donnerai quand je serai victorieux; j’élèverai ta tête jusqu’au soleil brillant; je ne ferai de mal à aucun de tes alliés ni à ceux de tes fils;

mais si tu essayes de me mentir, ton mensonge n’aura pas de succès auprès de moi; je te couperai en deux avec mon épée, je remplirai de terreur cette assemblée par ton exemple.

Kergsar lui répondit:

Ô illustre et fortuné Isfendiar! tu n’entendras de moi que des paroles vraies;

de ton coté, fais ce qui convient à un roi.

Isfendiar lui dit:

Maintenant indique-moi où est le château d’airain qui se trouve sur la frontière de l’Iran et du Touran.

Combien de routes y conduisent, combien de farsangs y a-t-il et quel est le chemin le moins dangereux; combien de troupes y tient-on toujours, et combien sont hauts les murs?

Dis-moi tout ce que tu en sais.

Kergsar lui répondit:

Ô Isfendiar, ô roi aux traces fortunées! trois routes conduisent d’ici à cette cour d’Ardjasp, à laquelle il donne le nom de son château fort;

l’une exige trois mois, la seconde deux mois, et l’on peut conduire une armée par l’une et par l’autre; sur la première on trouve partout de l’eau, des fourrages et des villes, et elle traverse les possessions de deux tiers des grands du Touran.

Sur la seconde, qui exige deux mois, tu seras dans l’embarras pour les vivres; il n’y a pas d’herbages ni de réservoirs d’eau pour les bêtes, et tu n’y trouveras pas de lieu où t’arrêter.

La troisième route se parcourt en une semaine, et l’armée arriverait le huitième jour devant le château d’airain; mais elle est pleine de lions, de loups et de dragons vaillants, aux griffes desquels personne n’échappe.

Ensuite il y a une magicienne dont les ruses sont pires que les loups et les lions et même que les puissants dragons.

Elle prend un homme et le porte de la mer jusqu’à la lune, et elle précipite un autre dans un abîme.

On rencontre sur cette route des déserts, des simourghs, et un froid affreux qui fait éclater les arbres quand le vent s’élève.

Ensuite on se trouve devant le château d’airain, un château tel que personne n’en a vu de pareil ni n’en a entendu parler.

La crête de ses remparts s’élève plus haut que les nuages noirs, il est rempli de troupes et d’armes et entouré d’une rivière d’eau courante dont la vue trouble l’esprit et que le roi passe en bateau quand il se rend dans la plaine pour chasser.

Si Ardjasp était assiégé cent ans dans ce fort, il n’aurait besoin de rien tirer de la campagne, car il y a dans le château des champs ensemencés et des prairies, des arbres fruitiers et des moulins.

Isfendiar écouta ces paroles, secoua la tête pendant quelque temps et soupira; à la fin il dit:

C’est la seule route pour nous, car il n’y a rien de mieux dans ce monde qu’un chemin court.

Kergsar répondit:

Ô roi! jamais personne n’a entrepris de passer par la force et en faisant du bruit par la route des sept stations, à moins d’avoir renoncé à la vie.

Le héros répliqua:

Si tu es avec moi, tu verras mon courage et ma force d’Ahriman.

Dis-moi qui je trouverai d’abord en face de moi et qui il faut que je combatte pour m’ouvrir la route.

Kergsar répondit:

Ô roi fortuné, ô cavalier élut!

Deux loups viendront t’attaquer d’abord, un mâle et une femelle, chacun semblable à un éléphant terrible; ils portent sur la tête des cornes comme des cerfs et sont avides de combattre des lions; ils ont des défenses comme des éléphants furieux, des poitrines et des membres larges et des flancs maigres.

Isfendiar ordonna alors qu’on ramenât le malheureux dans sa tente chargé de ses chaînes; il fit préparer une fête et plaça sur sa tête son diadème de Keïanide.

Lorsque la couronne du soleil descendit vers l’horizon et que le ciel dévoila à la terre ses secrets, le bruit des timbales s’éleva de la porte, la terre se couvrit de fer, le ciel devint couleur d’ébène.

Isfendiar prit la route du Touran par les sept stations, et partit avec son armée heureux et content.

Ayant marché jusqu’à la station, il choisit dans son armée un homme illustre, Beschouten, un homme plein de vigilance, et qui gardait l’armée contre les embûches de l’ennemi.

Il lui dit:

Maintiens l’armée dans l’ordre; je suis inquiet de ce que m’a dit Kergsar; je suis le chef, et s’il m’arrive malheur, il ne faut pas qu’il en arrive autant aux autres.

Alors Isfendiar se revêtit de son armure de combat; on affermit les sangles de son cheval noir, et il s’avança vers les loups, en serrant les jambes avec la force d’un éléphant terrible.

Les loups virent sa poitrine et ses bras, sa ceinture, sa main et sa massue; ils dirigèrent leur course vers lui dans la plaine, comme deux éléphants furieux et avides de combat. Le héros banda son arc, et poussa un cri terrible, comme un lion rugissant;

il fit pleuvoir des flèches sur ces Ahrimans, et se précipita dans le danger qui jusque-là avait accablé tous les cavaliers.

Les loups souffrirent des pointes de ses flèches; aucun ne put approcher de lui sans être atteint.

Isfendiar les regarda le cœur tranquille, et vit que les deux bêtes fauves étaient affaiblies et en détresse; il tira une épée trempée avec du poison, poussa son cheval et s’élança; il leur fendit la tête, leur déchira la poitrine, et fit naître de leur sang des roses sur la poussière.

Il descendit de son destrier célèbre, et reconnut devant Dieu que sa propre force n’aurait pas suffi.

Il fit disparaitre de son corps et de ses armes les traces du sang des loups, choisit dans ce lieu un endroit pur de sang, et tourna son visage coloré vers le soleil; le cœur encore plein de soucis et la tête couverte de poussière, il dit:

Ô Juge, dispensateur de la justice, c’est toi qui m’as donné de la force, du sens et de la bravoure. Tu as couché ces bêtes. fauves dans la poussière, tu seras mon guide pour accomplir le bien.

Quand les troupes et Beschouten arrivèrent, ils trouvèrent le héros dans l’endroit où il avait prié; ils restèrent confondus de son exploit, et toute l’armée se mit à faire des réflexions et dit:

Faut-il appeler cet homme un loup ou un éléphant furieux? Puissent ce cœur, cette épée et cette main durer éternellement! Que le trône du roi, et le pouvoir, et les fêtes, et l’armée ne soient jamais privés de lui!

Les héros, pleins de sagesse , firent dresser leurs tentes auprès d’Isfendiar; ils préparèrent une table d’or, mangèrent et burent du vin.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021